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Phénice, 17h05, quartier des Bâtisseurs,
appartement de Rëolg
La jeune Prôneuse Carla élevée au rang de Pather Superiore, emprise de nervosité, tend
un doigt rageur vers le Marcheur toujours aussi impassible.
" Je le redis ! Ce n'est pas une bonne idée de garder ce... ce truc. Et encore moins
d'en faire profiter d'autres personnes que nous ! Nous allons nous attirer une tonne
d'ennuis et... Nous risquons le bannissement bon sang !
- Je rêve là! On trouve de quoi prouver à une grande partie de la population que les
Révérés et autres Prôneurs mentent depuis le début, et vous, vous voulez qu'on fasse
comme si on n'avait rien vu ?! Après tout ce qu'on a enduré pour retrouver cet objet
?"
Carla est déboussolée. Elle ne cesse ses interminables rondes autour de la table. Les
trois hommes l'encadrent, la machine toujours en marche les dominant. Carla cherche à
jouer de sa prestance, mais son charisme mal maîtrisé n'aide pas. Rien n'y fait. Ils
restent tendus, respectueux d'un silence qui s'est maintenant installé. Des regards
s'échangent, agacés à l'égard de Carla, mais complices entres les trois hommes.
Ligués contre la Pather Superiore, ils se soutiennent par de discrets mouvement de têtes
approuvant les arguments du Bâtisseur Reölg.
" Je ne veux pas tout oublier, je ne peux pas d'ailleurs. C'est à vous de comprendre
que l'on va passer pour des fous si l'on décide de tout révéler ! Les sanctions qui
nous attendent seront à la hauteur de ce que nous aurons cherché à dévoiler ! Nous
n'avons aucune chance de nous en sortir, c'est un risque inutile qu'il ne nous faut pas
prendre !
- Mais qu'elle est barbante ! Faites ce que vous voulez ! Nous, nous sommes prêts à
aller jusqu'au bout de toute façon. Marre de voir que le pouvoir n'est que pour
quelques-uns uns seulement habiles à distraire nos esprits par du folklore soi-disant
religieux. Seule fin à ça : notre fric, pour nourrir leurs orgies. Tout ce qui les
entoure doit s'écrouler ! Ce qu'on a trouvé nous permet de provoquer un changement
radical. Les Phéniciens ont le droit de savoir, un point c'est tout."
Carla se prend le visage entre les mains, marmonnant d'agacement. Le groupe se fatigue
aussi, mais d'elle. Reölg grince des dents, l'attitude de la jeune prôneuse déplaisant
plus qu'autre chose. Le regard de Vladimir se pose machinalement vers la machine, posée
devant lui. La carcasse de l'appareil est toute dépareillée. Son délabrement est
consécutif de son long séjour dans l'Obscur : de multiples réseaux de fils en noués et
plus abîmés les uns des autres flirtent avec le vide tandis que la bobine tourne
interminablement, projetant une image rectangulaire d'un blanc uni contre le mur. Un
rythme abrutissant provoqué par le déroulement d'une bande s'abat dans la pièce sans
que personne ne dise ou ne fasse rien pour le stopper. Vladimir le Nourisseur dévisage
Carla. Reölg regarde ailleurs, sourcils froncés. En plus d'ignorer Carla, ils semblent
tous devenus comme sourds à l'appel " à la raison " lancé par cette
dernière. La voir debout depuis tout ce temps fatigue Linegor qui se masse le cou. Celle
ci se relance dans une énumération de soi-disant malheurs qui s'abattraient d'une façon
catastrophique et irréversible sur Phénice : l'autorité remise en question, le culte de
Solâr tourné en dérision... L'harmonie de la cité semble plus fragile que jamais face
à cette machine à l'apparence pourtant si futile. Mais même elle, finit par se lasser.
Il ne l'écoutent plus. Ils s'en moquent. Et Reölg reprend, toujours aussi calme:
- Nous allons donner de l'espoir, nous. On ne va pas prendre tous les risques, mais on
veut que les Phéniciens sachent ce qu'il se passe vraiment. Contrairement à vous, on n'a
pas une vie de château à préserver!
- Vous êtes décidément trop bornés ! J'ai fait ce que j'ai pu mais ne comptez plus sur
moi là! Vous n'aurez aucun soutien de ma part ! Je préfère vous ignorer qu'être
impliquée dans des choses qui vous dépasseront tôt ou tard!
Vladimir hausse les épaules et conclue laconiquement :
- On peut faire cavalier seul, ce n'est pas le problème. Au cas où nous serions
arrêté, nous dirons ne pas vous connaître. Faites en de même. Adieu Carla. "
Elle lance un dernier regard furieux à l'assemblée et se retourne, vexée, pour quitter
l'appartement du nourrisseur Vladimir. Les trois hommes restent à fixer la porte.
L'immobilité règne. La tension baisse d'un léger cran mais le silence perdure
néanmoins, la bobine battant toujours la mesure. Reölg redirige son regard en direction
de la machine avant de reprendre, stoïque :
" Pour éviter tous risques pour l'instant, le mieux est d'enterrer notre
découverte, le temps de ramener le plus de monde possible.
- Je suis d'accord oui. Mais où ?"
Il se tournent vers le Gardien du Feu qui fixe toujours la porte empruntée quelques
secondes plus tôt par la jeune Prôneuse. Il se tourne vers les deux hommes. Sa mine est
soucieuse et le silence adopté depuis le début de la dispute semble cacher plus qu'un
simple consentement vis à vis de la position prise par Reölg et Vladimir.
-
- Ecoutez... Chez moi c'est... Enfin... Non. Je... J'hésite à vous suivre en fait.
"
La voix finit de trembler quand un claquement vient enfin marquer la fin de la bobine.
Toute l'attention est portée sur Linegor qui peine à s'expliquer :
- J'ai franchement mis trop de temps à avoir cette promotion et... j'y tiens... Puis,
comme Carla l'a dit, nous allons avoir trop d'ennuis à cause de... " cet engin
"... je ne sais pas si... si c'est une bonne idée. "
Son regard appelle à l'aide. C'est à son tour de les abandonner et par là, de se sentir
seul. Il s'est lui même condamné à partir, le profil bas. Reölg le presse dans sa
décision, infaillible malgré des signes qui ne trompent pas sur l'hésitation dans
laquelle est plongé Linegor. Un dernier coup d'oeil suppliant, il se lève d'une
démarche branlante, s'appuyant sur la table. Les regards adoptés par l'autre camp
restent appuyés. Il se redresse, péniblement, et enfin, il vient doucement rompre le
silence :
- Désolé. Vraiment "
Phénice, 23h38, quartier des Bâtisseurs, ruelle bordant la devanture de
l'immeuble de Rëolg
" Aller, dépêche toi, c'est déjà la nuit. Je n'ai pas envie de croiser une
patrouille en allant chez toi.
- Pareil, ferme vite, je surveille "
Nerveux, Reölg le Marcheur fait se succéder une série de clefs à l'entrée de la
serrure. Rien n'y fait. Le manque d'éclairage l'empêche de discerner la forme des clefs
et c'est sans autre possibilité qu'il appelle Vladimir et la lampe à côté de lui.
Aucune réponse ne vient. Reölg hésite. Il fixe le trousseau puis ses mains, qui sont
peu à peu gagnées par des tremblements. Il se retourne peu à peu, le regard dirigé
vers le bas. Un frisson lui parcourt le dos. Trois ombres se distinguent sur le sol. La
route est barrée par deux hommes portant un masque décoré de peintures colorées. Le
frêle Nourrisseur qu'est Vladimir est maintenu par un colosse drapé dans une longue
tunique poussiéreuse. L'autre, devançant son complice, dévisage Reölg puis émet d'une
voix nasillarde :
" Si vous voulez bien nous suivre..."
Phénice, 3 jours plus tard, 14h, entrée de la Grande Marche
" Avouez que c'est inquiétant, nous n'avons plus aucune nouvelle d'eux.
- Et? Pourquoi me parler de ça ? Je suis désolé de ne pouvoir vous aider mais ils
m'avaient semblé clair: ils n'auraient plus de contact avec moi. A l'heure qu'il est, ils
doivent être en train de monter leur réseau de " résistance " ou je ne sais
quoi dans les bas fond de Phénice. Ils se sont embarqués dans une sale galère et vous
avez fait le bon choix en les abandonnant. Mais qui sait, peut être auront-ils changé
d'avis en cours de route. Se retrouvant seulement à deux, ils auront décidé
d'abandonner leurs projets...
Carla sourit d'un air compatissant, posant sa main sur l'épaule de Linegor qui est loin
d'être libéré de toute appréhension.
- Je dois retourner à mon poste près de la Halte Nord, Carla. Je vous tiens au courant.
Si vous apprenez quelque chose aussi, faites moi signe "
Carla acquiesce et le suit du regard tandis qu'il s'éloigne. Elle s'en va alors franchir
l'entrée de la Marche des Lumières sous le regard appuyé de trois gardiens.
Elle gravit lentement l'escalier menant à l'imposant édifice contenant la bibliothèque.
Elle regarde contemplativement le bâtiment puis s'immobilise sur l'une des marches. Son
attention se détourne lentement vers le jardin. Un sentiment étrange accompagné d'un
frisson l'envahit, et c'est en relevant les yeux qu'elle s'en libère. Solâr qui se
distingue à travers le Noir Nuage vient ranimer son sourire.
Elle se décide à se laisser guider par ses pas jusqu'au jardin. La douce clarté qui y
règne vient comme animer les saisissantes sculptures qui y sont déposées. Les ombres
jouent avec le travail du tailleur, affirmant les subtilités dans la taille des
vêtements et saisissant le charisme désormais posthume des anonymes déposés là. La
disposition des oeuvres offrent aux visiteurs l'impression qu'une pièce tragique se joue
entre les dizaines de sculptures placées ici. Les visages saisissent par leur réalisme
et interrogent sur ce qui a fait la grandeur de chacun. Il est pourtant certain, vu le
cadeau qui leur est fait, que tous ont dû consacrer leur vie et leurs travaux à la cité
pour gagner cette représentation maintenant immortelle au plus bel endroit de Phénice.
Carla se laisse peu à peu envahir de pensées. Des idées prennent forme en quête peut
être d'une épique histoire vécue par ces personnes jusqu'à ce que son recueillement
soit troublé par un appel timide.
" Masther Carla ? ... "
De courtes secondes précèdent la réaction de Carla, subjuguée par une statue.
- Oui ?
- Je tenais à me présenter : Pather Superiore Guild Aroas. J'ai été nommé pour vous
assister au Palais. Cela fait suite à votre toute récente promotion. Veuillez à
cet effet agréer mes plus sincères félicitations et mon admiration pour votre
dévouement envers notre belle et généreuse cité"
Carla appuie son regard sur le jeune homme puis sourit.
"Merci. Enchantée...
- Je ne vous dérangeais pas au moins ?
- Pas du tout. Je me laissais aller à quelques souvenirs devant cette statue. Enfin,
parlons de vous un peu..."
La conversation entre Carla et son nouvel assistant est engagée. Elle tourne le dos au
jardin et s'éloigne de ces statues plongées dans un silence éternel.
Un jeune jardinier croise le couple de prôneurs pour approcher des deux récentes pièces
acquises. Les plaques l'indiquent : l'un était Bâtisseur, l'autre Nourisseur. Deux
individus reposant sur les parcelles d'un jardin jamais foulé de leur vivant. Les rares
visiteurs auront le loisir de leur créer une histoire, de leur fabriquer un passé et de
leur imaginer des connaissances... bien enfouis dans ce cimetière de marbre.
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