- Le Site
-
- JDR
-
Délirium
- Desproges
- Musique
- Liens

|
|

-Obsessions-
A
propos de noir... Mais non, les nègres, vous pouvez rester.
Non, je voulais dire : à propos de noir, je vois que dalle sur cette scène. Dites-moi,
on pourrait pas allumer la salle un peu, qu'on y voie quelque chose ?
La vache ! Quand je vois le nombre de filles baisables qu'y a ici ce soir, ça me rend
dingue ! Est-il possible que Dieu nous ait voulus monogames, alors qu'une vie d'homme tout
entière ne suffirait pas à pétrir tous ces seins et toutes ces fesses écrasées ici
dans l'étreinte épaisse de ces fauteuils sournois aux ressorts douloureusement
comprimés sous le poids brûlant de vos chaleurs interdites, madame !...
Eteins, j'm'énerve.
Je m'demande si je suis pas un peu obsédé. Remarquez, j'ai de qui tenir. Mon père est
bisexuel. Ma mère est trisexuelle. J'ai un oncle octosexuel. Et mon chat a neuf queues.
C'est énorme ! Même ma soeur, tenez-vous bien - tenez-vous mieux ! -, même ma soeur qui
est militante lecanuettiste ne pense qu'au sexe. Est-ce que ça ne prouve pas, à
l'évidence, qu'on peut être à la fois marginale ET clitoridienne ?
Tout petit déjà à la communale, j'étais déjà assez chaud, en tant que lapin, je veux
dire. Vous ne savez pas comment elles m'appelaient, les filles à l'école ? Mandrake, le
Magicien ! Tout dans la baguette !
Je me rappelle, lors d'un récent dîner, chez mon ami Louis Mermaz, alors que la
conservation roulait sur l'opportunité de donner le nom d'Yvette Roudy à une rue de
Camaret, le président de l'Assemblée nationale me dit tout à coup :
" Et toi, Pierre, qu'est-ce qui te fait bander ? "
J'avoue que sur le moment, la question me laissa perplexe, et je me tins coi. Je me tins
coi, à l'abri de cette immense pudeur naturelle qui m'incite à enfiler un pantalon au
moment d'aller à la messe, par exemple, ou encore à éteindre la lumière avant de lire
Minute. Et puis, bon, vous savez ce que c'est, le crépitement rassurant du feu de fois
dans la cheminée, la chaleur profonde d'un vieil armagnac, la pulposité parfumée du
bras nu de Clitoria - c'est la femme de Mermaz -, la pulposité parfumée de ce bras nu
frôlant ma nuque au moment de desservir, enfin, tout cela me mit peu à peu en confiance.
Et je me laissai aller à énumérer, en vrac, les mobiles variés de ce que j'appellerai
l'exacerbation endémique de ma libido. Et alors, bon, pour la postérité, mais aussi
pour la science, et afin d'aider le professeur Jean Bernard dans sa recherche
médico-sociale sur l'élévation de la bitte et du niveau de vie en milieu urbano-rural,
il m'apparait opportun de livrer aujourd'hui au public le fruit de ma réflexion sur
cethème. Voici donc ce qui me fait bander - soyez gentils de prendre des notes, je
n'aurais pas l'occasion de reband... de répéter.
Alors premièrement : ma femme. Je me suis longtemps demandé ce qui m'excitait plus
particulièrement chez la mère de mes enfants. Peut-être son appartenance au sexe
féminin et le nombre élevé de la plupart de ses deux seins ne sont-ils pas tout à fait
étrangers à la curieuse fascination que le contact de son corps exerce couramment sur
mes sens, le jour, le nuit, et parfois même - dois-je le dire ? -, pendant la
commémoration de la mort de Jean Moulin sur FR3.
Deuxièmement : Marie-France. Deuxièmement, ce qui me fait bander, hein, perdez pas le
fil. Enfin, quand je dis fil, faut pas dramatiser non plus. Alors, Marie-France, d'abord
c'est une amie de ma femme, elle a à peu près le même nombre de seins. Mais,
l'interdiction tacite que je me fais de lui proposer le gazon, pour d'obscures raisons
chrétiennes de solidarité maritale, ne peut que contribuer à me la rendre encore plus
désirable que... que bien des mecs. Je ne dis pas ça pour vous, jeune homme, vous êtes
charmant. Marie-France, elle est très belle. Pour vous la décrire en un mot, je
reprendrai l'expression de Marcel Pagnol, et je dirai que Marie-France, elle est belle
comme la femme d'un autre. C'est joli !
Troisièmement : les éviers. Quoi, c'est pas bandant, un évier ? C'est pas orgasmophile,
un évier ? Là, vous m'étonnez ! Moi qui vous parle, la seule vue d'un évier, même
terne, m'embrase les sens au plut haut point, me noue le gosier, m'assèche la luette et
m'irradie la sous-ventrière des mille flammes dévorantes du désir le plus fou. Je vois
bien ce que mon discours peut avoir d'incongru auprès d'une portée de contribuables plus
ou moins vivipares. J'imagine que vous n'exultez que sur Multispire, c'est ça ? C'est
dommage. Remarquez, je sais aussi ce que sur le plan érotique pur, je sens bien ce que le
terme d'évier peut avoir de rédhibitoire, c'est vrai. Encore que... dans rédhibitoire,
n'y a-t-il point " rédhi", entre autres ?
Mon éviérisme remonte à mes seize ans. Cet été-là nous passions nos vacances dans
l'immense manoir provençal quze nous possédons grâce à la colossale fortune accumulée
par ma famille pendant l'Occupation allemande, et là, par un bel après-midi de juillet,
à cette heure écrasante des siestes moites, je traînais ma langueur en bermuda fleuri
dans la cuisine, à la recherche d'un fruit frais pour apaiser ma soif.
Anita, la matrone quadragénaire de ménage, penchée sur l'évier, épluchait les pommes
vertes pour la tarte du soir. Cette femme, cette femme était une espèce de Renoir de
garrigue. Ample et grasse, avec un cul joufflu qui ne tremblait pas, des seins obusiers
considérables, et, entre deux joues fessues, une immense bouche mouillée à peine
ombrée de ce fin duvet noir qui fait l'ambiguîté des vraies femelles latines. Elle se
tenait pieds nus, jambes écartées, cambrée comme un poulain de percheron, sans voile
aucun sous la blouse accorte des soubrettes campagnardes... Et moi, oubliant soudain mon
antimilitarisme primaire, je l'ai prise en soudard, sans même lui dire bonjour, elle a
joui sans lâcher ses pommes, dans l'ombre surchauffée des stores vénitiens qu'une
guêpe affolée pillonnait en vain.
J'ai failli m'évanouir. Et depuis ce jour, chaque fois que je croise un évier, je
l'appelle Anita.
retour |