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-Il faut être demeuré ou cosmonaute- Il faut vraiment être demeuré ou cosmonaute pour supporter la promiscuité d'un demeuré - ou d'un cosmonaute - pendant six mois dans l'habitacle épouvantablement exigu d'une cabine spatiale.Je me fais cette réflexion chaque fois que je sors d'un ascenseur à moitié rempli d'un autre être humain. Je ne me suis jamais aussi profondément ennuyé qu'au cours de ces expéditions qui vous laissent fâce à fâce et ventre à ventre avec un compagnon de voyage qu'on ne vous a même pas présenté et dont vous allez devoir subir la présence pendant vingt, trente, parfois même quarante secondes, pour peu que lui aussi aille au septième. Ainsi, l'autre soir, cauchemar : un quadragénaire ordinaire entre sur mes talons dans un ascenseur inconnu. Avant même le lancement de la cabine, qui était prévu aux alentours du moment où l'un ou l'autre se déciderait à appuyer sur le bouton de commande automatique de l'appareil, je devine qu'il ne me faudra attendre de cet être nulle tendresse, nulle chaleur humaine, rien de ces petites attentions délicates partagées qui font le charme des randonnées amicales. De mon côté, je ne me sens en rien
poussé vers lui. Alors que je pointe l'index vers le
bouton " 7 ", dans le but de susciter l'impulsion susceptible de provoquer
l'ascension de la cabine ( dont une surpression hydraulique maintenait jusque-là
l'adhérence au sol ), le bougre a la velléité d'en faire autant. Hélas, au même moment, l'homme
fait exactement le même raisonnement : il se met à fredonner Le Petit Quinquin, dans un
murmure timide mais parfaitement distinct. Une bouffée de désespoir existentiel m'envahit. La vie m'apparaît soudain plus vaine et la fraternité humaine plus improbable. Je porte instinctivement ma main à
ma bouche pour y moduler un toussotement volontaire destiné à créer la diversion, comme
disent les commentateurs de matchs de football, dont le quotient intellectuel n'atteint
qu'exceptionnellement le chiffre de la température anale. Horreur : à l'issue de ce demi-tour spontané, et compte tenu de l'étroitesse de la cabine, cet homme et moi nous retrouvons, malgré la solennité incontestable de nos costumes croisés et la stricte sobriété de nos attachés-cases, dans la position équivoque de la sodomie verticale. Aussi inébranlable soit la force
tranquille dont s'honore mon hétérosexualité latente, malgré aussi la virilité de la
nuque rose, et la forte senteur de tabac gris qui émane de l'assujetti social auquel je
suis maintenant accolé, j'en viens à prier Dieu de m'épargner la honte suprême d'une
involontaire érection, toujours à craindre en cas de contact intempestif entre deux
chairs humaines vivantes. Pour comble de misère, je comprends, quelques instants après l'atterrissage, que cette personne est l'homme avec lequel j'ai rendez-vous pour aller visiter la cave à vin dont il entend céder quelques crus au plus offrant. Nous reprenons l'ascenseur. |
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